Les "Phému" ou la victoire du service de calculs du Bureau des Longitudes.

Bonjour à toutes, bonjour à tous,

Bien sûr, en tant qu'astronomes amateurs débutants, et pour peu que vous ayez une lunette ou un télescope d'au moins cinq pouces (127 mm de diamètre), vous avez voulu observer le ballet des quatre satellites galiléens de Jupiter, avec ses passages devant la planète géante, ses occultations et ses éclipses…

Tout cela est connu et calculé avec plus ou moins de précision depuis près de quatre siècles. En 1679 Jean-Dominique Cassini, le premier directeur de l'Observatoire de Paris (lors de sa fondation en 1667) publia les nouvelles éphémérides de satellites de Jupiter, les plus précises jusqu'alors. Depuis, l'Observatoire de Paris, puis le service de calcul du Bureau des Longitudes se sont faits une spécialité d'être les plus performants en matière d'éphémérides des satellites de Jupiter.

Une conférence astronomique internationale qui s'est tenue à l'Observatoire de Paris du 23 au 26 octobre 1911 a décidé, que pour éviter de s'épuiser dans des calculs quasiment identiques de mécanique céleste, les différents services mondiaux de calculs des éphémérides devaient dorénavant se spécialiser (à partir des annuaires pour l'année 1917) pour le calcul de tel ou tel domaine astronomique. Et depuis 1917 c'est à la France seule que revient la tâche redoutable de calculer les éphémérides des satellites de Jupiter, qui sont repris telles quelles par tous les autres annuaires astronomiques du monde entier (ainsi le "Nautical Almanac" en Grande-Bretagne et "l'American Ephemeris" aux États-Unis ; qui ont fusionné en 1981 pour s'appeler désormais "Astronomical Almanac").

Au cours du 18ème siècle puis du 19ème siècle de nombreux observateurs ont pu assister, par hasard, à une occultation d'un satellite galliléen par un autre. Et d'autres ont remarqué que brusquement un satellite de Jupiter était plongé dans l'ombre sans que la planète y soit pour quelque chose… Ils en ont très justement déduit que c'était l'ombre d'un autre satellite qui masquait le premier.

Bien sûr tout le monde a demandé aux différents services de calcul de la mécanique céleste du monde entier de calculer ces phénomènes et de les annoncer suffisamment à l'avance pour pouvoir les observer. Hélas, ce fut une tâche insurmontable pour eux… Pourquoi ? Tout simplement, à cause de la petitesse de ces satellites et du manque de fiabilité de la position de leurs ombres.

Rappelons ici quelques notions essentielles :

* diamètre apparent de Jupiter aujourd'hui (20 juillet 2007) : 43",25 ;

* diamètre apparent du satellite I (Io) : 1",10 ;

* diamètre apparent du satellite II (Europe) : 0",95 ;

* diamètre apparent du satellite III (Ganymède) : 1",59 ;

* diamètre apparent du satellite IV (Callisto) : 1",45.

Vu ces petitesses il était impossible de tenter une prédiction sérieuse des "phému" (phénomènes mutuels) des satellites de Jupiter jusqu'à il y a très peu de temps.

Ce furent les calculateurs du service de calcul du Bureau des Longitudes (qu'on appelle Institut de Mécanique Céleste et de Calcul des Ephémérides - IMCCE - depuis le décret du 2 juin 1998) qui osèrent s'y attaquer et afficher publiquement leurs prédictions en 1973. Jean-Eude Arlot les révéla au grand public astronomique français par un article publié dans "l'Astronomie" de juillet-août 1973, pages 287 à 293.

Jean-Eude Arlot conclut son appel aux observateurs de par le monde en disant : « Nos lecteurs qui observeront les occultations et les éclipses prévues ici en disposant d'une horloge exacte, ne devront pas être surpris de constater que les phénomènes se produisent avec de l'avance ou du retard sur les dates indiquées. Les éphémérides des satellites galiléens sont calculés à l'aide d'une théorie qui n'est pas parfaite ! C'est pourquoi il ne faudra pas s'étonner de constater un décalage de 1 à 2 minutes entre l'instant prévu et l'instant réel du phénomène (celui-i se produisant en général en avance). Les observations, en indiquant les valeurs de ce décalage, peuvent aider à l'amélioration de la théorie du mouvement des satellites galiléens. »

A la page 291 figurait un tableau, incroyable pour l'époque, avec les indications concernant 38 phénomènes mutuels des satellites de Jupiter entre le 21 juin et le 31 décembre 1973.

Voici, à titre d'exemples, trois phénomènes mutuels parmi les 38 indiqués :

* 1°) Le 21 juin 1973 Io occulte partiellement Europe à partir de 00h 17m 42s (TU) pendant 3m 43 s (avec un maximum à 00h 19m 33s), et une grandeur de 0,37.

* 2°) Le 6 septembre 1973 Io occulte totalement Europe à partir de 23h 28m 43s (TU) pendant 9m 26 s (avec un maximum à 23h 33m 36s), et une grandeur de 1,02. L'occultation totale devant durer 36 secondes.

* 3°) Le 9 septembre 1973 Ganymède éclipse totalement Europe à partir de 21h 38m 09s (TU) pendant 27m 35 s (avec un maximum à 21h 52m 15s), et une grandeur de 1,00. L'éclipse totale devant durer 1 minute 10 secondes.

Bien entendu ces données furent transmises télégraphiquement (Internet n'existant pas encore) à tous les observatoires du monde et à toutes les sociétés astronomiques de la planète. Ce fut sans doute à Pasadena en Californie qu'on fut le plus estomaqué de l'audace des calculateurs français : le fameux "JPL" (Jet Propulsion Laboratory) le prestigieux service de calcul de la Nasa, n'avait jamais osé tenter la publication d'une telle prédiction…

Et le 21 juin 1973 on observa si Io allait bien occulter partiellement Europe.

Voici la simulation de ce phénomène d'après le logicien "Guide 8" :

* début de l'occultation de Europe par Io : 00h 16m 10s (TU) ;

* maximum de l'occultation de Europe par Io : 00h 18m 22s (TU) ;

* fin de l'occultation de Europe par Io : 00h 20m 36s (TU) ;

* durée totale de l'occultation de Europe par Io : 4 minutes et 26 secondes.

On constate donc que les prévisions du service de calcul du Bureau des Longitudes étaient exactes à une minute près !…

Le 6 septembre 1973 on observa si Io allait bien occulter totalement Europe.

Voici la simulation de ce phénomène d'après le logicien "Guide 8" :

* début de l'occultation partielle de Europe par Io : 23h 27m 40s (TU) ;

* début de l'occultation totale de Europe par Io : 23h 32m 17s (TU) ;

* maximum de l'occultation de Europe par Io : 23h 32m 40s (TU) ;

* fin de l'occultation totale de Europe par Io : 23h 33m 04s (TU) ;

* durée totale de l'occultation de Europe par Io : 47 secondes ;

* fin de l'occultation partielle de Europe par Io : 23h 37m 45s (TU) ;

* durée totale de l'occultation de Europe par Io : 10 minutes et 5 secondes.

Ici encore on constate que les prévisions du service de calcul du Bureau des Longitudes étaient exactes à une minute près !…

En revanche, beaucoup étaient septiques sur les horaires du calcul d'une éclipse, vu la petitesse de l'ombre des satellites galiléens. Aussi, le 9 septembre 1973, de nombreux observateurs pointèrent Europe pour voir si Ganymède réussirait bien à l'éclipser totalement…

Voici cette simulation avec "Guide 8" (essayez avec votre logiciel pour voir s'il permet de visualiser cet événement) :

* début de l'éclipse de Europe par l'ombre de Ganymède : 21h 39m 41s (TU) ;

* maximum de l'éclipse de Europe par l'ombre de Ganymède : 21h 52m 55s (TU) ;

* fin de l'éclipse de Europe par l'ombre de Ganymède : 22h 07m 13s (TU) ;

* durée totale de l'éclipse de Europe par l'ombre de Ganymède : 27 minutes et 32 secondes.

Ici encore on constate que si les horaires sont exacts à une minute près, l'éclipse de Europe ne fut pas totale mais partielle (80 % environ).

Quoi qu'il en soit c'était une grande victoire des calculateurs français autour de Jean-Eudes Arlot.

Une nouvelle campagne "Phému 79" fut organisée en 1979, puis une autre "Phému 85" en 1985, etc... La dernière campagne fut celle des "Phému 03" (voir http://www.saf-lastronomie.com/phemu03.htm).

Ces phénomènes mutuels des satellites de Jupiter se produisent lorsque la Terre et le Soleil traversent le plan de l'équateur de Jupiter : ainsi le Soleil le traverse en 1991,4 ; puis en 1997,6 ; puis en 2003,2 ; puis en 2009,4. Soit tous les 6,2 ans puis tous les 5,6 ans et ainsi de suite… Des phénomènes mutuels peuvent avoir lieu environ quatre mois avant et quatre mois après ces passages.

J'espère que vous serez très nombreux à participer à la campagne "Phému 09"…

Des "Phému" aux "Phésat" :

L'équipe de Jean-Eudes Arlot s'est depuis attaqué à un autre challenge, encore plus compliqué, les "Phésat" (phénomènes mutuels des satellites de Saturne).

La première campagne fut celle des "Phésat 95", lancée dans "l'Astronomie" d'octobre 1994 (pages 254 à 259) où William Thuillot, Jean-Eudes Arlot et Pascal Deschamps présentèrent ce nouveau défi. Page 259 de l’article en question sont indiqués les horaires (en Temps Universel) de 52 phénomènes mutuels de certains satellites de Saturne visibles en France pour la période 1995-1996.

Pourquoi ces "Phésat" sont-ils plus difficiles à prédire que les "Phému" ? Eh bien, tout simplement à cause de la petitesse apparente des satellites de Saturne :

Ainsi, aujourd'hui (20 juillet 2007) Saturne fait 17",97 de diamètre angulaire ;

* Titan fait 0",77 de diamètre angulaire ;

* Réa fait 0",23 de diamètre angulaire ;

* Dioné fait 0",17 de diamètre angulaire ;

* Thétys fait 0",16 de diamètre angulaire ;

* Encelade fait 0",07 de diamètre angulaire ;

* Mimas fait 0",06 de diamètre angulaire.

C'est tous les 14 ans et demi que la Terre et le Soleil traversent le plan de l’équateur de Saturne. Non seulement les anneaux disparaissent, mais deux satellites peuvent alors être alignés avec la Terre, l’un d’eux occulte l’autre (c’est-à-dire qu’il passe devant lui, soit entièrement, soit partiellement, soit annulairement) et de même l’un d’eux peut entrer dans le cône d’ombre de l’autre, il est éclipsé c’est-à-dire que l’ombre (ou la pénombre) du premier rend la surface du second sombre (éclipse totale ou partielle par l’ombre ou seulement par la pénombre).

Après 1995, ces "Phésat" se reproduiront en 2009 puis en 2025 :

* 10 août 2009 : le Soleil passe dans le plan des anneaux de Saturne (du Sud vers le Nord) ;

* 4 septembre 2009 : la Terre passe dans le plan des anneaux de Saturne (du Sud vers le Nord) ;

* 23 mars 2025 : la Terre passe dans le plan des anneaux de Saturne (du Nord vers le Sud) ;

* 6 mai 2025 : le Soleil passe dans le plan des anneaux de Saturne (du Nord vers le Sud).

J'espère que vous serez nombreux également à participer à la prochaine campagne "Phésat 09" puis à celle "Phésat 25".

Roger 15.

Heureusement qu il en a pour tous les gouts. Lors du DEA on devait visiter un groupe de recherche selectionne au hasard ... je me suis retrouve a l IMCCE. C est les travaux de recherche les plus atrocement ennuyeux que j ai jamais vu. Ils sont enterres dans les developpement post-newtoniens au 25e ordre des orbites de je ne sais quel corps celeste.

Ou alors ils font des recherches sur les systemes a N corps dans des configurations qui de leur avis meme n ont aucune chance de se produire en vrai.

Regarder les eclipse de satellites c est sympa mais leur boulot a eux ... Brrrr ... spa pour moi. Mais heureusement ca plait a d autres personnes. En tout cas c est rigolo qu on puisse les aider en observant ca ...

Merci Roger.

Bonjour Akira,

Heureusement que les "Astrams" ont des éphémérides précises pour observer les astres "vagabonds" (planètes, satellites, astéroïdes, et comètes), et de temps en temps il faut penser à ceux qui font un travail colossal (et très ingrat comme tu l'as souligné) de calcul dans leurs bureaux, sans lequel ces éphémérides n'existeraient pas…

Roger 15.

Excellente rétrospective pour nous préparer aux Phésats de 2009 (parce que 2025.... )

Une nouvelle fois, je m'instruis en te lisant Roger!! effectivement, quel travail de fous!! patience, précision, rigueur...ou lala...vraiment, je m'incline bien bas face à tous ceux qui ont accompli cette tâche herculéenne! ....

Vraiment, je m'incline bien bas face à tous ceux qui ont accompli cette tâche herculéenne! ....

Bonsoir Zaurel,

Le plus sympathique pour leur rendre hommage, serait que tu achètes (ainsi qu'un maximum d'Internautes du forum Webastro) l'édition 2008 de l'Annuaire du Bureau des Longitudes. Je pense qu'elle paraîtra à l'automne prochain. Tu y apprendras des tas de choses actualisées sur l'astronomie. Depuis quelques années cet Annuaire indique même les occultations d'étoiles par les astéroïdes. Ainsi cette nuit du 20 au 21 juillet 2007 à 02h 15m 18,4s (Temps Terrestre) l'astéroïde 1749 Telamon (81 km de diamètre), d'une magnitude de + 16 va occulter l'étoile HIP 10294 de magnitude + 9.

Voir pour l'édition 2007 de l'Annuaire du Bureau des Longitudes :

http://www.imcce.fr/fr/publications/publi_officielle/annuaire.php

Roger 15.

Merci Roger! je suivrai ton conseil!

La condition principale pour qu'un phénomène mutuel mettant en cause des satellites d'Uranus ("phéura") soit visible depuis la Terre serait que l'équateur de cette planète soit exactement aligné avec le nôtre. Ce qui ne se produit hélas que très, très, rarement…

Et puis il faut savoir qu'on arrive à des dimensions angulaires très petites. Ce soir (22 juillet 2007) :

* Uranus a un diamètre angulaire de 3",63 ;

* I (Ariel) a un diamètre angulaire de 0",08 ;

* II (Umbriel) a un diamètre angulaire de 0",08 ;

* III (Titania) a un diamètre angulaire de 0",11 ;

* IV (Obéron) a un diamètre angulaire de 0",11 ;

* V (Miranda) a un diamètre angulaire de 0",03.

Quand l'équateur d'Uranus s'aligne-t-il parfaitement avec l'équateur terrestre ? Eh bien, vu que la période orbitale de la planète découverte par William Herschel est de 84 ans, tous les 42 ans le plan de la Terre croise celui de l'équateur d'Uranus, et donc de ses anneaux. Cela s'est produit pour la dernière fois en 1965.

Or 1965 + 42 = 2007. Donc, bonne nouvelle, Uranus va être cette année bien inclinée, exactement dans le plan de l'équateur de la Terre. En fait l'équateur d'Uranus va par trois fois, le 2 Mai 2007, le 16 Août 2007 et le 20 Février 2008 être parfaitement incliné avec la Terre. Vu qu'Uranus sera en opposition avec le Soleil le 9 septembre 2007, l'alignement du 16 août 2007 sera très favorable.

Bien entendu seuls les plus gros télescopes du monde pourront tenter leur chance pour observer un phénomène mutuels de ses satellites…

Pour les amateurs, équipés de télescopes de très très grands diamètres, peut être pourront-ils tenter d'observer une occultation d'un satellite d'Uranus par un autre. Une éclipse ne serait bien entendu pas visible…

L'IMCCE indique par exemple que le 6 août 2007 à 01h 08m 25s (TU) Obéron occulte Umbriel pendant 2 334 secondes (38 minutes et 54 secondes).

J'ai fait la simulation avec "Guide 8" (zoom maximum : 20 soit 1" de champ pour tout l'écran) pour l'Observatoire de Paris :

* début de l'occultation d'Umbriel par Obéron : 00h29 (une précision à la seconde serait impossible pour ce logiciel) ;

* milieu de l'occultation d'Umbriel par Obéron : 00h45 ;

* fin de l'occultation d'Umbriel par Obéron : 01h04 ;

* durée totale de l'occultation : 35 minutes.

C'est là qu'on voit que les logiciels du commerce sont largement impuissants face aux puissants calculateurs du service de calcul du Bureau des Longitudes…

Ceux qui voudraient en savoir plus sur les "phéura" 07 peuvent consulter les deux sites Internet de l'IMCCE suivants :

http://www.imcce.fr/page.php?nav=fr/observateur/campagnes_obs/pheura07

ftp://ftp.imcce.fr/pub/ephem/satel/pheura07/visibility/visi_paris.txt

Roger 15.

PS : bien entendu des phénomènes mutuels des satellites de Neptune ("phénep") ne pourraient être observés que par des télescopes en orbite ou par des sondes spatiales…

Merci Roger pour ces infos!...donc, les "plus gros télescopes du monde" n'auront pas droit à l'erreur le 16 Août!! on les attend au tournant!!! ..

Merci Roger pour ces infos!... donc, les "plus gros télescopes du monde" n'auront pas droit à l'erreur le 16 Août!! on les attend au tournant!!!

Bonjour Zaurel,

Tu ne crois pas si bien dire, car ensuite il faudra attendre 2049 pour avoir la prochaine occasion d'observer des phénomènes mutuels des satellites d'Uranus…

Roger 15.

PS : c'est le 6 août et non le 16...