11 avril 1978 : objectif Aldébaran en Sologne.

 

 

 

Bonjour à toutes et bonjour à tous,

 

Je vais vous raconter une extraordinaire expédition d'astronomes amateurs belges qui ont osé s'aventurer au-delà des limites de leur royaume pour s'enfoncer plein Sud jusqu'en Sologne, au centre de la France, le mardi 11 avril 1978 pour observer un phénomène astronomique exceptionnel : une occultation rasante d'Aldébaran (l'étoile de première grandeur Alpha du Taureau, dite "l'œil du Taureau" dont la magnitude est de + 0,987) par la Lune.

 

Pourquoi était-ce un phénomène astronomique exceptionnel ? Eh bien, pour deux raisons principales :

 

- 1°) d'abord les occultations d'Aldébaran sont assez rares. Elles se produisent (comme pour toutes les étoiles dites "zodiacales") selon une périodicité de 18,6 ans avec une série de 47 occultations en moyenne, séparées par 27 jours et 8 heures. Entre deux séries il s'écoule environ quinze ans... Ainsi la dernière occultation d'Aldébaran par la Lune a eu lieu le 14 février 2000 et la prochaine n'aura lieu que le 29 janvier 2015. précisons que sur ces 47 occultations très peu (une ou deux seulement) seront visibles dans de bonnes conditions dans un lieu précis. Il faut en effet que cette occultation se produise lorsque Aldébaran est au-dessus de l'horizon, qu'elle ne se produise pas en plein jour, et surtout que le ciel soit bien dégagé.

 

Voici les dates des cinq séries d'occultations d'Aldébaran entre 1959 et 2037 :

 

* 1ère série (1959 - 1962) :

- 1ère occultation : 16 mars 1959 ;

- dernière occultation : 19 septembre 1962 ;

- nombre d'occultation dans la série : 47.

 

* 2ème série (1978 - 1981) :

- 1ère occultation : 19 janvier 1978 ;

- dernière occultation : 8 avril 1981 ;

- nombre d'occultation dans la série : 44.

 

* 3ème série (1996 - 2000) :

- 1ère occultation : 8 août 1996 ;

- dernière occultation : 14 février 2000 ;

- nombre d'occultation dans la série : 48.

 

* 4ème série (2015 - 2018) :

- 1ère occultation : 29 janvier 2015 ;

- dernière occultation : 3 septembre 2018 ;

- nombre d'occultation dans la série : 49.

 

* 5ème série (2033 - 2037) :

- 1ère occultation : 18 août 2033 ;

- dernière occultation : 23 février 2037 ;

- nombre d'occultation dans la série : 48.

 

- 2°) ensuite une occultation rasante d'une étoile de première grandeur est rarissime : il faut en effet se trouver juste au bon endroit où le bord de la Lune va effleurer l'étoile ; parfois, l'étoile peut disparaître et réapparaître plusieurs fois cachée très brièvement par les cratères de la Lune... Si on est trop au Nord, ce sera une occultation "banale", si on est trop au Sud il n'y aura point d'occultation, mais un simple rapprochement très serré (une "appulse").

 

Un groupe d'astronomes amateurs belges a constaté, en lisant les éphémérides astronomiques qu'une occultation rasante d'Aldébaran se produirait le mardi 11 avril 1978 vers 19h15 (Temps Universel). Or ce jour-là la Lune (magnitude : -8,2) serait âgée de 4,17 jours (Nouvelle Lune : 7 avril 1978 à 15h15 TU ; Premier Quartier : 15 avril 1978 à 15h56 TU) et se coucherait à 22h40 (TU) aux environ de La Ferté-Saint-Aubin (Loiret) à la limite Nord de la Sologne. A 19h15 (TU) Aldébaran serait à 31,1° au-dessus de l'horizon théorique. Tout semblait donc devoir désigner les environs de ce Chef-lieu de canton du Loiret pour observer cette occultation rasante d'Aldébaran par la Lune. Encore fallait-il se positionner exactement à l'endroit où cette occultation rasante devait se produire... Qui pourrait leur indiquer à coup sûr cet endroit idéal ?...

 

Heureusement qu'ils ont su s'adresser à "l'oiseau rare" en ce domaine particulièrement pointu : un astronome amateur (maçon de son état) disciple du brillantissime "Maître" de la mécanique céleste Jean Meeus, un certain Jean Schwaenen (voir : http://www.astrosurf.com/apex-occult/auteur.htm).

 

 

 

 

Depuis le 29 juin 2002 Jean Schwaenen a créé un site Internet (en français) consacré aux "occultations d'étoiles par la Lune" : http://www.astrosurf.com/apex-occult/index.htm.

 

Jean Schwaenen a donc recherché pour l'occultation d'Aldébaran du 11 avril 1978 l'endroit, ou plutôt "les" endroits, où ce phénomène très rare pourrait être le mieux observé. Il a trouvé huit endroits (leur liste figure à la page 510 de l'excellent tome 1 du "Guide de l'observateur", ouvrage collectif sous la direction de Patrick Martinez, Société d'Astronomie Populaire de Toulouse, 3ème trimestre de 1987) où les astronomes amateurs belges devraient s'installer (il fallait, grâce aux cartes de l'Institut Géographique National français, trouver des endroits accessibles, par des petits chemins ou des sentiers, pour y amener les instruments d'observation) :

 

* station n°1 :

- latitude : 47° 44' 48,4" Nord ;

- longitude : 01° 57' 18,1" Est ;

- altitude : 210 mètres ;

 

* station n°2 :

- latitude : 47° 44' 43,1" Nord ;

- longitude : 01° 57' 18,1" Est ;

- altitude : 210 mètres ;

 

* station n°3 :

- latitude : 47° 44' 41,9" Nord ;

- longitude : 01° 57' 17,4" Est ;

- altitude : 210 mètres ;

 

* station n°4 :

- latitude : 47° 44' 20,9" Nord ;

- longitude : 01° 57' 36,0" Est ;

- altitude : 210 mètres ;

 

* station n°5 :

- latitude : 47° 44' 20,2" Nord ;

- longitude : 01° 57' 36,1" Est ;

- altitude : 210 mètres ;

 

* station n°6 :

- latitude : 47° 44' 19,5" Nord ;

- longitude : 01° 57' 36,2" Est ;

- altitude : 210 mètres ;

 

* station n°7 :

- latitude : 47° 44' 14,3" Nord ;

- longitude : 01° 57' 37,2" Est ;

- altitude : 210 mètres ;

 

* station n°8 :

- latitude : 47° 44' 13,6" Nord ;

- longitude : 01° 57' 37,3" Est ;

- altitude : 210 mètres.

 

Pour chacune des huit stations d'observation Jean Schwaenen avait calculé l'horaire précis (au dixième de seconde près) des disparitions et des réapparitions d'Aldébaran, l'angle de position de la Lune où se produirait le phénomène (c'était dans la partie obscure du relief lunaire), l'angle de Watts (angle mesuré du centre du disque de la Lune à partir de son pôle Nord vers l'Est) et enfin la hauteur, en secondes d'arc, des points de contact au-dessus du limbe moyen de la Lune.

 

Par chance, la météo fut favorable et chaque observateur put admirer le magnifique spectacle d'Aldébaran disparaissant puis réapparaissant puis disparaissant de nouveau derrière les cratères de la Lune, dans son côté obscure.

 

L'observateur de la première station, la plus au Nord (47° 44' 48,4"), ne vit hélas qu'une simple occultation classique d'Aldébaran, assez brève (4 minutes 28,0 secondes) :

* 19h 17m 57,8s (TU) : disparition d'Aldébaran ;

* 19h 22m 25,8s (TU) : réapparition d'Aldébaran.

 

L'observateur de la deuxième station, un peu plus au Sud (47° 44' 43,1") eut beaucoup plus de chance : il vit un spectacle excessivement rare dont voici le déroulement :

* 19h 17m 59,5s (TU) : disparition d'Aldébaran ;

* 19h 19m 27,5s (TU) : réapparition d'Aldébaran.

* 19h 19m 29,7s (TU) : disparition d'Aldébaran ;

* 19h 19m 34,0s (TU) : réapparition d'Aldébaran.

* 19h 19m 34,7s (TU) : disparition d'Aldébaran ;

* 19h 22m 23,4s (TU) : réapparition d'Aldébaran.

Soit trois séries de disparition d'Aldébaran !!!...

 

L'observateur de la troisième station vit lui aussi trois séries de disparition d'Aldébaran. Les observateurs des stations n° 4, 5 6, 7 et 8 eurent encore plus de chance car ils virent quatre séries de disparition d'Aldébaran !!!!...

 

Voici les horaires de la station n°8 (la plus au Sud : 47° 44' 13,6") :

* 19h 18m 06,6s (TU) : disparition d'Aldébaran ;

* 19h 18m 07,7s (TU) : réapparition d'Aldébaran.

* 19h 18m 19,3s (TU) : disparition d'Aldébaran ;

* 19h 18m 38,6s (TU) : réapparition d'Aldébaran.

* 19h 19m 00,1s (TU) : disparition d'Aldébaran ;

* 19h 18m 10,9s (TU) : réapparition d'Aldébaran.

* 19h 19m 40,1s (TU) : disparition d'Aldébaran ;

* 19h 22m 20,2s (TU) : réapparition d'Aldébaran.

 

Mais, l'observateur le plus chanceux fut l'observateur situé à la station n° 6 (47° 44' 19,5") car, outre les quatre séries de disparition d'Aldébaran, il put admirer un rarrissime "flash" de l'étoile Alpha du Taureau lors de la troisième série de disparition d'Aldébaran (flash qui ne fut aperçu ni par l'observateur de la station immédiatement plus au Nord ni par celui immédiatement plus au Sud) :

* 19h 18m 05,1s (TU) : disparition d'Aldébaran ;

* 19h 18m 10,8s (TU) : réapparition d'Aldébaran.

* 19h 18m 17,9s (TU) : disparition d'Aldébaran ;

* 19h 18m 39,3,7s (TU) : réapparition d'Aldébaran.

* 19h 18m 57,8s (TU) : disparition d'Aldébaran ;

* 19h 18m 59,5s (TU) : flash d'Aldébaran pendant une demi-seconde !!!... ;

* 19h 19m 13,4 (TU) : réapparition d'Aldébaran.

* 19h 19m 39,7s (TU) : disparition d'Aldébaran ;

* 19h 22m 25,0s (TU) : réapparition d'Aldébaran.

 

Ce "flash" provenait du passage de l'œil du Taureau juste au-dessus d'une toute petite vallée lunaire, jusqu'alors inconnue, large de 420 mètres seulement... :o

 

Depuis cette occultation rasante d'Aldébaran, il y a déjà 32 ans, les astronomes amateurs ont davantage d'instruments à leur disposition, notamment les micro-ordinateurs qui simplifient énormément les calculs (en 1978 il fallait effectuer tous les calculs avec des calculatrices de poches) et surtout le GPS qui permet, grâce aux sites Internet "Google Earth" ou "Géoportail" de trouver facilement un lieu d'observation optimale, accesible par un chemin ou un sentier (en 1978 il fallait encore utiliser les cartes au 1/25 000 de l'IGN).

 

 

Peut-on simuler les conditions d'observation de la station n°6 (celle qui vit le fameux "flash") ? C'est bien entendu ce que j'ai essayé de faire avec l'excellent logiciel astronomique "Guide 8" de l'américain Bill Gray.

 

J'ai donc configuré mon logiciel avec les données indiquées par l'ouvrage de Patrick Martinez, page 510 :

- latitude : 47° 44' 19,5" Nord ;

- longitude : 01° 57' 36,2" Est ;

- altitude : 210 mètres.

 

J'ai pris l'équinoxe "J1978,3" parce que cette occultation rasante d'Aldébaran a eu lieu le 11 avril 1978, donc le 101ème jour de l'année : 101 / 365 = 0,28 arrondi à 0,3 (car ce logiciel ne permet que les dixièmes d'années pour le choix de l'équinoxe).

 

Je fus assez déçu car à 19h 18m 05s (ce logiciel ne permet que les secondes rondes) Aldébaran était à 3,43" du bord non éclairé de la Lune... Et à aucun moment une occultation n'est apparue... Ce n'est qu'à 19h 20m 00s qu'Aldébaran a "frôlé" la le bord de la Lune, à 0,56". :(

 

Ça prouvait que les coordonnées géographiques indiquées par l'ouvrage de Patrick Martinez ne coïncidaient plus avec les données actuelles indiquées par les GPS.

 

J'ai donc cherché, grâce à "Géoportail" et à "Google Earth" quel pouvait être l'endroit exact de la station n° 6.

 

J'ai alors trouvé que les coordonnées GPS du lieu de la station n°6 devaient être en réalité proches de l'endroit suivant :

- latitude : 47° 45' 20,8" Nord ;

- longitude : 01° 57' 11,2" Est ;

- altitude : 124 mètres.

 

A l'angle du "chemin du caillou rouge" et de la route des Boistards. Là, le logiciel "Guide 8" indique qu'une occultation rasante d'Aldébaran a pu avoir lieu, le maximum du rapprochement étant 19h 19m 58s, ce qui en accord avec les données indiquées par l'ouvrage de Patrick Martinez.

 

Je m'adresse plus spécialement aux Webastrams belges (qui connaîtraient Jean Schwaenen) et aux Webastrams toulousains (qui connaîtraient Patrick Martinez ou des anciens de la "Société d'Astronomie Populaire de Toulouse") : connaissez-vous des participants à cette expédition en Sologne le 11 avril 1978, et pourriez-vous nous indiquer des précisions sur cette expédition ? Merci d'avance.

 

Roger le Cantalien.

Modifié 4 janvier 2014 par roger15

Bonjour Roger, et merci pour ce sujet!

 

Jean Schwaenen est membre du CAB:

http://www.astro-cab.be/

(mail et N° tél disponibles sur le site)

 

Jean Bourgeois pourrait bien faire partie des participants, à moins qu'il n'était en haute montagne sur je ne sais quel continent?

Les occultations, c'est son "dada":

 

Quasiment un mois plus tard, cela se profile fort bien pour le WE: un anticyclone bien sec, un croissant couche-tôt...dès jeudi 29/01 je ne tiens plus sur place.

 

Je signale mon escapade sur WA, prends contact avec Jean Bourgeois qui aura la gentillesse de me conduire de la gare de Ciney vers Chapois après son occultation attendue.

 

Au plaisir de suivre ton travail d'historien!

 

Patte.

Bonjour à toutes et bonjour à tous,

 

Grâce aux sympathiques indications de Patrick (Syncopatte) j'ai contacté Jean Schwaenen. Il a bien voulu me fournir par message e-mail les précisions suivantes :

 

« Les participants étaient au nombre de 8 (5 belges et 3 français), voici leurs noms et le numéro de leur station :

Station 1 : Vankercove

Station 2 : Standaert

Station 3 : Schwaenen

Station 4 : Leborgne (Français)

Station 5 : Boninsegna

Station 6 : Duquesne (Français)

Station 7 : Pomies (Français)

Station 8 : Thirionet.

 

Il y avait un neuvième observateur, mais malheureusement il n'avait pas de garde temps.

 

J'ajoute que les coordonnées des stations ont été relevées sur une carte au 1/25 000 (pas de GPS à l'époque) et que lorsque nous sommes arrivés sur place il a fallu chercher d'autres sites d'observation car ceux relevés sur la carte n'étaient pas appropriés à l'observation.

 

Petite anecdote, quand nous sommes partis de Belgique il neigeait et quand nous sommes arrivés à La Ferté Saint-Aubin il neigeait encore. Une demi-heure avant l'observation il neigeait encore et le ciel était couvert et 1/4 d'heure avant l'heure fatidique je passe la tête hors de la tente et, oh miracle, le ciel était dégagé et d'une pureté, je n'en dit pas plus. Du coup ça a été une course contre la montre pour rejoindre son poste d'observation et monter son instrument pour être prêt à temps. Comme j'était l'organisateur j'ai dû en premier lieu conduire les observateurs à leur emplacement puis rejoindre le mien et monter mon télescope. Il était à peine monté que je mets l'œil à l'oculaire et "top", la première disparition. Ce fut une belle aventure et d'après David Duham (le spécialiste américain des occultations) ce fut une des plus belles réussites en Europe avec 56 contact. »

 

 

 

 

Merci Mon Cher Jean pour ces informations complémentaires.

 

Roger le Cantalien.