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Petit récit illustré de l'éclipse totale du 8 avril 2024 depuis le Texas


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Wills Point, Texas, à environ 1h30 de route à l’est de Dallas sur la State Highway 80… Population d’un peu plus de 3000 habitants, une petite ville allongée le long d’une« main street » aux allures de film de western, juste un peu modernisée. Quelques rues qui se croisent à angle droit, quelques cafés-restaurants, une voie ferrée longe la route 80 qui traverse la ville.

 

Wills Point, on y passe, pourquoi s’y arrêter ? Jamais je n’aurais cru que nous y resterions deux nuits, une fois dans notre vie.

 

Mais voilà, Wills Point était bien positionné sur la bande de totalité de l’éclipse solaire du 8 avril 2024, avec une durée annoncée de 4 min 18 et avec une statistique de couverture nuageuse pas désagréable par rapport au reste du parcours de l’ombre (voir Dallas dans le graphe ci-dessous extrait de l’excellent site de Xavier Jubier). Mais les statistiques ne font pas la météo du jour…

 

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De plus, et peut-être surtout, Wills Point disposait d’un hébergement très simple, à 200 dollars pour trois nuits, prix pas courant pour le passage de cette éclipse très médiatisée. Le propriétaire, pas au fait du passage d’une éclipse, n’avait pas augmenté ses tarifs. Nous avons retenu une chambre 14 mois plus tôt pour trois nuits. A posteriori, la qualité était en rapport avec le prix et nous sommes partis avant la troisième nuit…

 

Nous arrivons à Wills Point le 6 avril au soir, afin de disposer de la journée du 7 pour une première installation du matériel et une répétition de la séquence totalité.

 

Mais voilà : alors qu’il fait très beau depuis trois jours que nous sommes au Texas, le 7 le ciel est couvert et les prévisions météo pour le 8 sont mauvaises : plafond nuageux total, gros orages dans l’après-midi, avec peut-être quelques éclaircies. Le moral est bien bas, au point que je renonce à installer le matériel ce jour-là. Déjà avant le départ de France, les prévisions étaient peu engageantes, mais dix jours avant on espère toujours.

 

Le 8 avril au matin, tout est gris. Consternation ! La météo dit qu’au nord de l’Interstate 20, il y a aura des éclaircies. Mais nous y sommes au nord ! Juste 5 km plus au nord. Vers 9h30, notre cœur balance… Tout replier et partir à l’aventure ? Alors que nous disposons ici d’un beau champ herbeux, de visibilité, de calme… Risquer de finir au bord de la route, ce qui était annoncé comme interdit sur de grands panneaux lumineux, ou pire, coincés dans un embouteillage au moment crucial ?

 

Finalement nous restons et j’installe le matériel, prêt à être très philosophe. Astram, on sait qu’il faut de la patience et savoir rester zen face à la météo. Mais au fond, vivre une éclipse totale de soleil sous les nuages, voir la lumière s’en aller en sachant un peu ce qui se passe bien plus haut, ça doit mettre le moral dans les chaussettes pour longtemps. Regrets éternels…

Matériel installé. La monture GP Vixen est en place, sans moteurs pour la légèreté, lestée d’un gallon d’eau de source (ou vendue comme tel), alignée vers le nord à la boussole et à l’œil, latitude réglée à 33 ; dessus la lunette Orion EDT/CF 80/480, le Canon EOS 60D connecté, le filtre solaire posé, l’intervallomètre branché pour faire office de déclencheur filaire, ISO 200, mode bracketing permettant de déclencher trois temps de pose différents avec trois déclenchements successifs sans toucher à la molette des vitesses, miroir en mode relevé, RAW + Jpeg léger.

 

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L’attente angoissée commence, le jeu de cache-cache avec les nuages aussi. Le plafond est bas. Le ciel n’est pas statique, il y a du vent là-haut, les nuages passent à bonne vitesse et les petites trouées aussi. De temps en temps, le soleil apparaît pendant quelques secondes ou dizaines de secondes, puis disparaît. Je profite de ces moments fugaces pour pointer (pas facile de pointer le soleil quand on ne le voit pas…) et faire le point. Là aussi, faire le point n’est pas très relaxant, avec des flots de nuages qui traversent le champ, alors que je me concentre sur les rares taches solaires, avec la molette démultipliée, l’écran de l’APN grossi à 10 fois, tout en suivant le déplacement du soleil avec la molette équatoriale.

 

Je prends donc quelques dizaines de photos et vérifie ma mise au point et mes temps de pose, rapides entre 1/350 et 1/2000, les trouées passent, plusieurs minutes parfois entre deux aperçus du soleil. Les résultats sont très variables, le voile nuageux impactant considérablement l’exposition, évidemment, et il est impossible de trouver un réglage à peu près permanent.

 

image.png.885d63975fa507073c9015335474033c.png1/2000ème

 

 

Arrive l’heure du premier contact. Zut, invisible ! Le premier cliché acceptable arrive plus tard…

 

image.png.ae99b6098e57e6b9c44a4839e7688f61.png1/100ème

 

La tension monte, les nuages passent. Nous guettons les trouées, que le vent pousse depuis le sud dans notre direction. Dès qu’une trouée arrive, je déclenche. Les résultats, que j’ai le temps de regarder sur l’écran, sont très variables, très incertains : les nuages défilent, les temps de pose choisis collent à la trouée… ou pas, selon le défilement des nuages. Beaucoup de déchets. Mais quelques-unes acceptables.

 

 

image.png.4df7cc8281556c00c7d9c5b1b21f1593.png1/15ème

 

 

La présence des nuages, qui se traduisent par des ombres noires plus ou moins denses, donne un caractère assez dramatique aux images.

 

Côté mise au point, c’est acceptable, il y a de quoi affiner un peu sous DPP (le logiciel de développement de Canon). Je la rectifie dès que je peux, j’ajuste la tension du porte-oculaire au mieux : le soleil est vers 65° de hauteur, la verticale n’est pas si loin, ça pèse sur le Crayford.

 

 

image.png.86a4923bbc2ce62dd6d5fb1a3cbf6740.png1/30ème

 

Sur cette série de la phase partielle, j’aime bien celles où la lune approche les quelques taches solaires du jour et progressivement les masque. A 150 millions de kilomètres d’écart, notre satellite joue avec la géométrie de notre système planétaire et malgré sa petite taille comparée à notre étoile et à ses taches, il va les dissimuler à notre vue. Raccourci saisissant.

 

 

image.png.8585b0171f8114cddac32655322f2e8b.png1/1000ème

 

 

image.png.1b1877a8fd2eb951e94b3873b6120ff6.png1/500ème

 

 

 

image.png.b1c4ee22890e82412421c4ac993474b6.png1/200ème

 

 

image.png.96a89d2573d5f7269c7a28c45c5cda99.png1/250ème

 

 

image.png.17d648854f2962f1a747554446bf9aee.png1/10ème

 

 

L’éclipse progresse, l’ombre avance. L’éclat du soleil est tel que même masqué largement à plus de 50%, la luminosité est encore à peine affectée. Les oiseaux chantent, les énormes camions circulent à toute vitesse sur la state Highway 80 toute proche, tout semble encore normal. Sauf quand on lève le nez, que l’on met ses lunaires éclipse (avant de lever le nez !) et que l’on voit cette échancrure courbe sur le disque solaire. Non, tout n’est pas normal.

 

 

 

image.png.9d9f83b7988ebbc189cac671f13d6582.png1/250ème

 

Les nuages défilent, les trouées aussi. Et puis quelque chose se passe, la lumière change. Elle prend cet aspect qui n’existe que pendant les éclipses solaires fortes et les prémices des éclipses totales : grisâtre, cendrée, comme si flottaient dans l’air des particules sombres absorbant la lumière. La température baisse, les oiseaux ralentissent leur chant. Les camions passent à toute allure.

 

 

image.png.e5341c69a4e8643bebd015970e18a881.png1/20ème

 

Le soleil n’est plus qu’un croissant, ses taches ont été avalées. Comment fait-il, avec si peu de surface visible, pour éclairer encore autant ? Mais de moins en moins cependant. La lumière baisse, comme la température, les trouées dans le plafond nuageux défilent, la fébrilité monte. L’atmosphère est grise, de plus en plus densément grise, presque palpable, sauf vers l’horizon où la luminosité reste forte.

 

Je n’ai plus le moyen de faire la mise au point, plus de tache solaire à laquelle m’accrocher, plus toute la concentration nécessaire. J’enlève le filtre solaire, je déclenche en temps de pose courts, mais trop tôt. Je ne veux pas manquer le deuxième contact.

 

image.png.873f658956472e58a620bb5c9344e6da.png1/2000ème

 

 

 image.png.794cad7a9914db7eb111dab4aa441ecf.png1/8000ème

 

Et pourtant, je le manque ! La trouée attendue n’est pas là, mais elle arrive, posément. Nous sommes dans le vif du sujet, c’est le début de la totalité. Les oiseaux se sont tus, les lampadaires se sont allumés, les camions passent à toute allure, tous feux allumés, le business n’attend pas après les éclipses.

 

 

image.png.3f68cacb9353a5b4a985e63367bb1cf8.png1/500ème

 

 

image.png.12f303fbf9bba7dd3e8f382a5449ccb4.png1/250ème

 

Comment décrire une éclipse totale de soleil ? Les photos ne sont pas grand-chose à côté de la réalité de l’événement, pour moi le plus extraordinaire que la nature puisse nous offrir.

 

 

image.png.f8ca5a1750791847a1f2eb310cc9fad7.png1/60ème

 

 

 

image.png.1aa929304c355b4e13635cae548aa648.png1/4 sec

 

Il fait frais, voire froid. Tout est gris autour de nous, quasiment crépusculaire mais pas tout-à-fait, car au loin il y a de la lumière. Quand on lève les yeux, presqu’au zénith, il y a un disque noir auréolé de lumière, le pourtour est parsemé de flammes rouges. Pas de planète visible pour nous cette fois, mais une étoile quand même, ou peut-être Vénus, épargnée dans une brèche de ce plafond bas.

 

En plein jour, le roi soleil a disparu, ne reste que sa couronne. On comprend l’anxiété que pouvaient éprouver il y a longtemps ceux qui ne savaient pas s’il allait revenir.

 

image.png.5e315f402c6969e22171d8f5ab6d1a63.png3/10ème

 

 

Quatre minutes passent, c’est court et long à la fois.

 

Trop court pour affiner le réglage de ses appareils, je déclenche régulièrement, modifiant le temps de pose toutes les trois prises de vue, quand le bracketing a fait son travail. Je monte vers les poses longues, dans l’espoir (qui sera déçu), d’attraper la couronne, puis je redescends vers les poses courtes pour saisir les protubérances et possiblement le « diamond ring », à l’aveugle sans regarder l’appareil. Il faut profiter de l’instant.

 

Et suffisamment long pour que l’émotion dure, pour que l’on s’imprègne de l’ambiance, qu’on la grave dans sa mémoire. La fugacité, la rareté du phénomène en renforcent la puissance. On n’y croit pas, c’est fou ce qui arrive, c’est beau et extra-ordinaire.

 

J’estime que nous aurons vu la moitié de la totalité, les nuages nous masquant le reste.

 

image.png.9ecf61876ba3cd395b19a6fc86b0992d.png3/10ème

 

Je prends cliché sur cliché, à l’approche du troisième contact.

 

 

image.png.eb2e8648b6046b2eb0c5248f7d4c3839.png1/6ème

 

 

J’attrape un effet proche du diamond ring, mais juste un peu tard.

 

 

image.png.6fd58d8269eefa8bb8be1d165d6cdf16.png1/10ème

 

 

Le soleil réapparaît. Je remets le filtre.

 

 

image.png.a1f3a695d33aea40c288e1c3830ecad4.png1/500ème

 

La tension retombe, mais l’émotion reste là des dizaines de minutes, des heures. Autour de nous, les quelques personnes qui étaient là retournent à leurs occupations, les camions passent à toute allure.

 

Je continue à déclencher, après avoir remis le filtre. Je resterai là encore une heure, sur ma chaise pliante, retardant le moment où l’éclipse sera vraiment du passé, existant pour l’éternité dans le monde des événements qui ont eu lieu, intouchable, finie mais éternelle.

 

image.png.bf4afd7fbfbf4d2e546c2566ead7381f.png1/250ème

 

 

image.png.c7550ad9c99669b133aa5c17822acdf0.png1/100ème

 

Et puis il faudra bien passer à autre chose, ranger tout le matériel, lentement, en tremblotant mais calmement, avec le soulagement de celui qui est passé près d’un beau ratage mais qui a sauvé quelques meubles, qui a eu cette demi-chance, qui est quand même une chance entière, au fond, un privilège.

 

L’escapade au Texas n’est pas finie, il y a encore au programme la visite du Centre Spatial de Houston ! Nous reprenons la route le soir même.

 

Je regarde à la volée mes photos de la totalité. Je ne suis pas satisfait. La mise au point n’est pas bonne, arrgh… Pourquoi ? Elle était acceptable pendant la phase partielle, elle ne l’est plus pendant la totalité.

 

Le porte-oculaire a-t-il glissé, finalement ? Aurais-je dû serrer plus fort la vis de tension ? Si je serre très fort, est-ce que cette pression modifie la mise au point ? La baisse de température au moment de la totalité peut-elle expliquer ce décalage dans la mise au point ? Ai-je arrêté de faire ma mise au point trop tôt ? Aurais-je dû tenter une mise au point pendant la totalité, vingt secondes de manipulation au cœur de quatre minutes ? Frustration. Mais bon, en photo d’ambiance, en photo souvenir de l’événement, c’est acceptable, là aussi les nuages dramatisent le sujet.

 

Finalement, les photos d’une totalité ne sont qu’une vision instantanée et partielle du phénomène, que l’on regarde quelques secondes, un disque noir auréolé de blanc, sur un fond noir, esthétique le plus souvent.

 

Mais aucune photo, si réussie soit-elle, ne peut rendre compte de ce qu’est une éclipse totale de soleil : il faut la voir et la vivre, en vrai. Je suis chanceux, c’était ma troisième, après 1999 et 2017.

 

Au bout du bout, un voyage réussi : nous avons vu Dallas, où nous ne serions pas allés sans cette occasion, Fort Worth et son rassemblement de bétail, nous avons visité le Johnson Space Center à Houston et goûté un petit peu du Texas, où nous avons toujours été très gentiment accueillis.

 

En route pour l’Espagne 2026 ?

 

Jacques

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Oui ! Alors là, bravo. Une expérience unique et totale. Pas deux éclipses identiques ; et bien entendu, le rapport dramatique aux nuages.

 

Il faudrait un sous-forum supplémentaire sur WA : la catégorie "Aventure".

 

Merci Jacques, très chouette récit. On y était presque, et les photos sont très sympas.

Celle que je préfère ? Le diamant au 1/10ième au travers des nuées. Elle est magnifique et très naturerelle.

 

Rdv en Espagne ! C'est certain 😉

 

Christophe

 

 

Les images de la partielle sont colorisées, ou c'est le filtre ? Et dans ce cas, lequel ?

Merci.

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Salut Christophe,

 

Merci pour tes appréciations !

 

Au niveau du filtre, j'utilise un filtre en verre Thousand Oaks. Donc pas de coloration, mais c'est la couleur donnée par le filtre, couleur que je ne déteste pas, même si c'est moins naturel, effectivement.

 

Je sais, je suis un hérétique, tous les forums crient haro sur les filtres en verre et ne jurent que par les films genre Astrosolar.

 

J'ai un astrosolar, je vais faire des tests sérieux. J'en ai fait des pas sérieux, sur une monture pas à la hauteur et je confirmais ma préférence pour le Thousand Oaks. Ou alors c'est mes yeux... 

 

Oui, les photos bas sur l'horizon donnent quelque chose de plus au niveau ambiance, c'est indéniable., ça se tente !

 

Jacques

 

 

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Il y a 4 heures, Forever_young a dit :

Au niveau du filtre, j'utilise un filtre en verre Thousand Oaks. Donc pas de coloration, mais c'est la couleur donnée par le filtre, couleur que je ne déteste pas, même si c'est moins naturel, effectivement.

 

Je sais, je suis un hérétique, tous les forums crient haro sur les filtres en verre et ne jurent que par les films genre Astrosolar.

 

Ah ? Il y a des gens comme ça sur des fofos ? ben faut les laisser crier. On va pas commencer à braire avec le troupeau !

J'ai bien ce ton orangé, justement. Les couleurs, c'est la vie 😉

Les Thousand Oak, c'est ce que j'ai aussi, mais les miens sont vieux, ils étaient moins teintés peut-être, dans les temps anciens.

 

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Le 09/05/2024 à 03:58, Forever_young a dit :

Wills Point, Texas, à environ 1h30 de route à l’est de Dallas

 

Bonjour, merci pour ton superbe récit, Willis  me parait très FarWest et pourtant c'en est que très très  loin !

You're lucky! De plus tes images sont magnifiques.

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