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Chile con estrellas (4) : En un ciel ignoré.


Jeff Hawke

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Episode précédent : Comme un vol de gerfauts.

 

C'est incontestable, le ciel austral nous est toujours neuf, d'une certaine façon. Le nombre d'incursions au sein de l'autre hémisphère n'y peut rien changer à l'affaire. Quelques voyages et de longues nuits attentives ou passionnées ne remplaceront pas la longue et progressive familiarité acquise depuis l'enfance avec notre ciel ici. Là-bas, on découvre les constellations d'un oeil adulte, et avec la détermination de l'astram. Un peu comme l'apprentissage d'une lange étrangère, qui n'a que peu à voir avec l'acquisition primitive du langage via la langue maternelle, mais se présente plutôt comme une greffe, une extension à partir de celle-là.

 

De plus, comme il s'agit pour aller observer ce ciel, de passer « et les monts et les mers », on choisit de fait un endroit optimum, un ciel pur et noir, de sorte que cette nouveauté australe étrange nous est servie sous son meilleur jour, dans ses plus beaux atours de lumière. Je crois que c'est pour cela que l'expression qui m'était venue, lorsque je rédigeai le CROA de l'odyssée a(u)strale de 2006 en Namibie, était « le ciel de diamants ».

 

Avant de déchiffrer ce neuf, et alors que l'affrontement entre chien et loup est encore en cours, j'observe « mon » ciel. Le Sagittaire et le Scorpion. Mais déjà aussi vers les territoires attirants du Sud : La queue du Scorpion, Corona Australis,...:rolleyes:

 

Il y a aussi deux brillantes planètes.

 

Cette quatrième nuit m'offre une Jupiter d'anthologie, comme une nuit d'Avril en Touraine nous avait gratifié d'une Saturne inoubliable. Une grande tache « rouge » d'une clarté et d'une finesse émouvantes. Et pas moins de 7 bandes nuageuses. Avec un grossissement dans les 200 fois (nagler 7), j'ai une magnifique image piquée et stable, que je contemple longuement, encore et encore, tandis que le flying dobson suit méthodiquement, docile aux impulsions que lui impriment mes mains. J'entends que Xavier se lance dans un dessin (avec sans doute un grossissement terrifiant).

 

Galaxies, nuit.

 

Quand la nuit est bien installée, c'est l'envol pour les galaxies. Sans que cela ait été délibéré de ma part, j'ai constaté lors des prises de notes et de leur relectures que je partageais mes nuits toujours un peu de la même façon : Une orgie, calme et méthodique, de galaxies après les friandises du crépuscule, jusque vers les minuit une heure du matin, moment de la première restauration. Puis en seconde partie de nuit, comme si cette exploration d'univers lointains, immensément gratifiante mais empreinte d'une certaine austérité lumineuse, devait céder la place à la gourmandise pour les amas brillants, les chatoyantes nébuleuses, et toutes ces douceurs intra galactiques, c'est vers les riches zones de la Voie Lactée et de ses deux satellites que le dobson va avoir tendance à musarder.

 

Cette nuit là, ce sera d'abord l'amas de Grus (constellation que l'on ne présente plus), déjà dégusté il y a deux nuits, mais maintenant détaillé méthodiquement. Mention spéciale pour le couple NGC 7418 - 7421, la première ovale, allongée avec un centre brillant, la seconde ronde et uniforme.

 

L'Indus, triangle rectangle à l'hypoténuse brisée par Théta, recèle une belle galaxie tranche, NGC7090, entre Delta et Théta, et 7141 à un degré au Sud Ouest de Delta, qui présente un halo faible mais étendu.

 

Une incursion dans l'amas de Dorado m'en montre suffisamment pour que je me programme une lente exploration pour la nuit suivante. Ici, on peut remettre au lendemain et se donner le temps nécessaire à intensément profiter, la météo ne fait pas vivre dans le doute.

 

A l'Ouest de Dorado, il y a Reticulum, un losange dont un des sommets comporte trois étoiles, Gamma, Delta et Iota. Sur le sommet opposé, Alpha, on trouve NGC1559 (belle ovale brillante).

 

A la mi-nuit, thé chaud et sandwiches au fromage ou charcuterie sont un véritable festin d'astram, pris sous la coupole, à proximité du C14 chasseur d'amas, en échangeant nos impressions. Mais mon cinéma intérieur scintille de galaxies faibles. Plus d'un mois après mon retour, je les vois encore.

 

Facilités boréales...

Canis Major est maintenant bien haut, et je termine le plan proposé sur le site de Bruno. Avec en particulier NGC2359, le casque de Thor (ou nébuleuse du Canard). Facile à trouver sur la route entre NGC2345 et NGC2374, cette nébuleuse explose en extensions avec un filtre OIII.

 

Dans Lepus, le « small wonders » de Tom Trusock signale une étoile bien rouge, R Lepus (Hind's Crimson Star), située à environ 3 - 4 degrés au Nord Nord Ouest de Mu. Splendide rivale de celle de la Lyre. Et tant qu'on y est, et quoique l'heure des galaxies soient passée, NGC1964 au Sud Est de Béta (Nihal). Trop belle...Un halo étendu autour d'un coeur bien brillant, et on y croit déceler un début de structure spirale (en s'arrachant les yeux, et de côté en plus...)

 

Un pointage de M1 avec le Lightbridge de Daoumy, maintenant pleinement opérationnel avec un frein bricolé par Raymond, et un point rouge correctement aligné (quelle galère pour aligner ce truc, je m'en rendrai compte en fin de séjour, ayant hérité de l'engin pour la dernière et courte nuit) me donne une belle nuance bleutée dans cette nébuleuse explosée.

 

Et d'une incursion à l'oculaire du C8, j'ai le plaisir d'observer la centrale de la nébuleuse planétaire insérée dans l'amas M46 (dans Puppis).

 

Austral again

 

Mais avec la nuit qui progresse, le tropisme austral revient, finit par l'emporter, et je consume les dernières heures sur le Grand Nuage, principalement sur la Tarentule, la nébuleuse Eta Carinae, qui ne s'épuise pas en quelques nuits, et sur 47 Tucanae...Ce globulaire apparaît comme peint au couteau avec de la pâte stellaire, comme un tableau de Georges Mathieu.

 

Xavier y voit du jaune, moi non (mais je vois du bleu dans la comète Ludine, en début de nuit dans son Strock... Ces histoires de perceptions des couleurs sont vraiment très spécifiques à chacun. Une caractéristique personnelle et précieuse de nos cônes :rolleyes:)

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Ah, la suite de tes CROAS!

 

La comète s'appelle Lulin, et non pas Ludine, Ludivine et autres consorts ludiques!

 

Comme toi je ressens cet éternel renouveau du ciel austral malgré un premier voyage. En 2 ans, nous avons le temps de devenir amnésiques pour mieux redécouvrir ses beautés.

 

Tiens, il me semble avoir regardé au Chili les 2 galaxies dont tu parles dans la Grue, et peut-être même CROAtées.

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Hmmff....comme le dis si justement Vincent, cela fait du bien d'être sous d'autres ciels, parcourir avec toi ces étendues que peu d'entre nous ont eu la chance de voir.

 

J'aime particulièrement lorsque tu nous dis qu'il faut sans cesse réapprivoiser ce ciel qui n'est pas le nôtre, je m'imagine à ta place, je serais bien perdue!

 

La Hind' s Crimson Star reste pour moi l'une des plus magnifiques étoiles, je l'ai découverte l'an dernier, Den l'évoquait dans un message.

C'est vrai qu'elle est superbe.

 

Merci pour ces beaux écrits qui donnent envie de partir loin, bien loin.:-_-:

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Ah oui, pour NGC 7418 et 7421 j'en parle dans le CROA de la troisième nuit : http://www.webastro.net/forum/showthread.php?t=38359

 

Faut qu'on retourne les observer, on ne les a pas vues tout à fait de la même façon... :refl:

 

il faut sans cesse réapprivoiser ce ciel qui n'est pas le nôtre, je m'imagine à ta place, je serais bien perdue!

 

Je peux me tromper, mais il me semble que tu ne serais pas longtemps perdue. ;)

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Des noms étranges, inconnus...Grus, Indus, Dorado... et un ciel pur, sans pollution lumineuse, ce CROA est -encore- une baffe à nos misérables observations!

Merci de les partager, avec ta plume habituelle, grave, sereine, retenue, précise et humble à la fois, j'aime!

 

:hm:

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ce CROA est -encore- une baffe à nos misérables observations!

 

Ce n'est certes pas mon propos, explicite ou implicite, d'ainsi qualifier nos (je suis d'ici, aussi ;)) observations boréales, lesquelles ne sont assurément point misérables (notamment, si j'en crois les CROAs de montagnes grenobloises ou autres cols auvergnats ou provençaux), et même celles réalisées en contrées de plaines humides. :cool:

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Au crépuscule de la cinquième nuit, et au-delà...

 

 

Jupiter n'est pas intéressante ce soir, fors d'être une cible commode pour l'alignement du flying. J'attends donc paisiblement la nuit, et les autres encore en train de ripailler « en-bas », en goûtant le temps qui coule, la fraicheur et l'arrivée douce des étoiles.

 

Oh ! Le vent se lève

Au large des galaxies

 

(Thiéfaine)

 

Au Sud de Scorpius, il y a trois constellations à explorer avant leur plongée sous l'horizon : Corona Australis, Ara et Telescopium.

 

Dans Corona Australis, NGC6541 et NGC6496 (peut-être que celui-là est au Scorpion) sont deux globulaires, de la catégorie « moyen-petit », avec une résolution seulement périphérique. On les trouve juste au Nord d'Epsilon Telescopii, comme des transfuges des deux hémisphères.

 

Du côté de Gamma et d'Epsilon, on trouve un petit assortiment : Globulaire (NGC6723), nébuleuse diffuse (NGC6726, 27, 29), et obscure (Bernes 157). Il faut s'obstiner un peu dans le secteur pour détailler un peu qui est qui.

 

Ara, un peu à l'Ouest, est plus fertile. La constellation se présente comme un trapèze étranglé sur sa plus courte base par Dzeta, et sur sa plus grande par le couple Béta Gamma. On part de ce dernier pour trouver le très beau globulaire NGC6397. Coeur très brillant, halo étendu d'où s'élancent des filins étoilés, tout y est... :rolleyes:

 

Il y aussi NGC6352, au Nord d'Alpha, plus modeste mais tout aussi esthétique. Avec un amas ouvert en voisin, IC4651. Et une petite série de galaxies, du côté d'Eta : NGC6215 et 6221, toutes proches, ESO 138-10 (tout petit truc pas très régulier, mais c'est une ESO...). Et NGC6300, une belle ovale, avec quelques étoiles en surimpression. Et une petite planétaire, NGC6326, qui ne révèle ni couleur, ni centrale, mais qui mérite quand même un arrêt.

 

Telescopium est une de ces constellations du Sud qui ne ressemblent à rien, avec un nom Lacaillien. Un faible triangle rectangle (Alpha, Dzeta et Epsilon), qui permet de trouver IC4699, toute petite nébuleuse planétaire qu'il faut grossir comme un malade pour détecter. Par chance, sa position est facile. Au Sud de ce triangle, un globulaire assez brillant, NGC6584, et au Sud Est (en fait, un degré au Sud de Lambda), le couple de galaxies IC4796 et IC4797 (seule 4797 est indiquée sur le PSA), pas vraiment explosives en lumière, mais bien jolies. :cool:

 

Le temps a filé, tout le monde est depuis longtemps arrivé, chacun à son poste d'observation, et j'ai écumé mes 3 constellations avec application et plaisir avant leur déclin.

 

Stakhanovisme cosmique

 

Je m'attaque maintenant à l'exploration « complète » (au sens Pocket Sky Atlas) des amas de galaxies de Dorado, Reticulum et Horologium, un voyage qui me conduira au mitan de la nuit. J'ai un paquet de notes, complétées ensuite de commentaires enregistrés au dictaphone, à mettre en ordre et au propre. Pfff...

 

Le Sud en pente douce

 

Après la seconde restauration, et avant d'aller dormir (vers les 4 heures cette nuit là, petit coup de fatigue à presque la moitié du parcours astro-chilien), j'irai baguenauder à nouveau dans Vela et Carina, avec des amas déjà cités, la nébuleuse planétaire NGC3132 (sur la frontière avec Antlia, la Machine Pneumatique) avec la centrale bien vue, et la nébuleuse planétaire NGC3918 (dans le prolongement de Béta et Delta de la Croix du Sud), « blue planetary », que je n'ai pas vue bleue...Mouais... :confused:

 

Et aussi, retour sur le Casque de Thor dans Canis Major, que je détaille avec le filtre OIII. Les deux « cornes » sont très nettes, étendues, particulièrement celle au Nord, dont l'extrémité de termine par un coude. Sur le corps même de la nébuleuse, le chiffre deux semble être dessiné par ces nébulosités longiformes. Pas moyen de déceler de la couleur (filtre ôté, of course) par contre.

 

Je me souviens être parti dormir cette nuit là avec cette nébuleuse attachante comme dernière image. Mais j'ai sans doute du aussi revenir sur des globulaires de la soirée, car mes notes comportent ces deux remarques : " Les globulaires « petits » sont finalement plus agréables que les monstres comme 47 Tucanae ou Oméga Centauri. " et " Une photo ne rend pas les nuances de la vision à l'oculaire avec les variations de magnitude générant des motifs (comme par exemple l'impression de « peinture au couteau » sur Oméga et 47). " :cool:

 

 

Prochain épisode : Freaks.

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Le temps a filé, tout le monde est depuis longtemps arrivé, chacun à son poste d'observation, et j'ai écumé mes 3 constellations avec application et plaisir avant leur déclin.

 

J'aime particulièrement ces mots. C'est à chaque fois ce que je ressens lorsque j'observe avec d'autres passionnés: tous les yeux dans les étoiles mais chacun à son rythme..

 

:)

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Ce n'est certes pas mon propos, explicite ou implicite, d'ainsi qualifier nos (je suis d'ici, aussi ;)) observations boréales, lesquelles ne sont assurément point misérables (notamment, si j'en crois les CROAs de montagnes grenobloises ou autres cols auvergnats ou provençaux), et même celles réalisées en contrées de plaines humides. :cool:

 

rassure toi, je ne parlais pas premier degré!

 

;)

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je ne parlais pas premier degré!

 

;)

 

Je m'en doute bien :cool: mais tenais à apporter cette précision pour les éventuelles lectures au premier degré que l'on ne peut exclure en ce vaste forum.

 

 

D'autant plus que je me pose parfois la question, sur mes fins en racontant ce ciel éloigné et inconnu, de l'interprétation erronée qui peut en être faite. :refl:

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J'attends donc paisiblement la nuit, ..., en goûtant le temps qui coule, la fraicheur et l'arrivée douce des étoiles.

 

C'est tout-a-fait ca...

 

 

D'autant plus que je me pose parfois la question, sur mes fins en racontant ce ciel éloigné et inconnu,

 

Le partage est une fin très honorable ;) Merci pour ces beaux CROA Jeff !

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