Un point lumineux de perdu, 100.000 de retrouvés

Date : Vendredi 15 février, de 21h à 23h30

Site : Colline de Grambois

Matériel : Dobson 254/1200, Panoptic 24, Pentax XW 14 et Nagler 7, Powermate x2,5, filtres UHC, H-Beta et OIII.

Conditions : Ciel parfaitement dégagé, bonne transparence et turbulence moyenne.

"C'est une trachéobronchite", m'indique d'un air neutre le médecin que j'ai pu trouver à consulter ce soir. J'en reste sans voix, moins par surprise que parce que ma gorge est douloureuse et que parler, d'une voix grave et rauque qui ferait passer Gainsbourg pour la Callas, m'est désagréable.

De retour à la maison doté de quelques emplettes pharmaceutiques, j'informe ma chère et tendre (et néanmoins épouse) qu'après le repas, je pars "voir les étoiles". "Dans ton état ?" s'étonne-t-elle avec un début de moue désapprobatrice bien vite réprimée. "Bah, il ne m'a pas dit d'éviter le froid, tout ça c'est viral, et puis je me couvre bien..." J'avoue qu'in petto et simultanément, je me fous un coup de pied au cul psychologique : avec la semaine violemment chargée que je viens de passer, j'ai pour seule envie de m'installer tranquillement dans le canapé, équipé d'un Blake et Mortimer. Mais moi, vous me connaissez ? La perspective de mater un astéroïde exceptionnellement proche me pousse irrésistiblement à sortir, même si j'ai déterminé les éphémérides pour Grambois avec le même soin dont use Roland Emmerich pour définir la psychologie de ses personnages.

Mais enfin, me voilà sur place, la neige proche et mes cartes du passage de 2012 DA14 éclairées par la lune qui brille dans mon dos. Je repère rapidement l'amas ouvert de la Chevelure de Bérénice et m'y promène en attendant le moment du passage. Mais je ne sais pas vraiment quoi chercher. Un point... lumineux, sans doute... brillant, certainement... et mouvant, j'espère (sinon comment le différencier du reste ?). Et je cherche. Je regarde, je me promène, je vois des tachouilles galactiques ici où la, sans oser sortir l’œil de l'oculaire pour les identifier. Puis un doute m'assaille alors que l'heure du passage dans mon point de repère est passée : me serais-je gouré dans l'heure, confondant TU et heure civile ? A tout hasard, je pointe donc en direction de l'arrière-train grand-plantigrade, mais toujours en vain. Je ne sais plus où j'en suis, ni ce que je fais. Je passe de ma fiche au ciel à l’œil nu, du ciel à l’œil nu à l'oculaire, de l'oculaire... bon, vous avez saisi l'idée !

Un petit bolide passe justement en face, semblant partir de la Chevelure en direction de la Vierge, et j'avoue rater un battement de cœur. Absurde évidemment, mais avec les vidéos qu'on voit depuis le matin sur le Net... heureusement, je suis loin de toute vitre qui aurait pu être soufflée par une explosion météoritique. Rassuré par cette ferme et pragmatique constatation, je me concentre donc, poursuis mes recherches... Il est près de 22h, et toujours rien. "Cornegilouille !" me dis-je alors à moi-même (à moins que ce soit un mot de 5 lettres commençant par "M", je ne sais plus). Fred, tu vas pas rester toute la soirée à chercher un p..... de pauvre point lumineux que tu ne pourras même pas détailler, et encore moins dessiner correctement ! Passe à autre chose, bon sang !

"OK", m'obtempérai-je (car je sais m'intimider un peu quand nécessaire). La Lune étant encore là, quoique pas bien haute au-dessus de ma colline occidentale, je m'y crame les bâtonnets avec plaisir. Des cratères, des sortes de montagnes, et heu, des zones claires et sombres qui ondulent un peu au gré de la turbu. Bon, faudra vraiment qu'un jour je me mette à la géographie lunaire.

Histoire de rester sur la lancée, je vais voir Jupiter pas très loin de là, et constate qu'un satellite (Europe, apprendrai-je plus tard), ne tardera pas à passer devant le disque jovien. Faudra y revenir plus tard dans la soirée !

C'est alors que je décide d'explorer la Licorne, une constellation qui contient plus d'objets sympathiques qu'il n'est possible d'en détailler en une nuit complète. Comment cette zone si sombre à l’œil nu peut-elle receler autant de trésors ? Je l'ignore et sur le moment, j'avoue que je m'en tape un peu. Je jette plutôt mon dévolu (qui est à l'aune de ma frustration à cet instant de la soirée, c'est vous dire la tronche du dévolu) sur M50, pris au hasard parmi les amas ouverts du coin. Il est toujours aussi étendu mais joli, avec ses étoiles de diverses couleurs et magnitudes. Puis je glisse doucement vers le sud, sur une piste parsemée d'étoiles innombrables, m'arrêtant sur les petits tas que ces dernières forment parfois au coin d'un virage improbable et imaginaire. NGC2335, petit et aux composantes faiblement lumineuses, 2343, plus brillant mais petit aussi, 2353, plus intéressant que les précédents mais pas au point de se relever la nuit (arf !), 2345 (tiens, nous voilà dans le Berger Allemand) dont les étoiles fines qui le peuplent donnent envie de grossir... ces amas ouverts maigres mais mignons jalonnent ma route vers la Poupe.

Car sans trop m'en rendre compte, voilà que je me trouve dans une constellation que j'explore bien rarement. Et je devrais, parce que je découvre ainsi M47, lâche et aux étoiles brillantes, NGC2423, aux jolies petites composantes serrées qui le rendent esthétiquement obligeant, puis Melotte 71, pour lequel j'ai un vrai coup de cœur (eh oui, scoop : j'aime les amas aux étoiles serrées et fines), mais surtout, M46.

C'est la première fois que je vais le voir, celui-là. Deux ans et demie d'astro, un 250 que j'ai la prétention de pas mal utiliser, 66 nuits sous des cieux allant du très correct à l'excellent, et il manque encore une foule de Messiers à mon palmarès... Si c'est pas malheureux. Mais il est des malheurs qui se guérissent plus sûrement encore qu'une trachéobronchite ! Et M46 me donne envie de me remettre sérieusement à l'ouvrage : assez étendu, beau avec ses étoiles brillantes côtoyant un fourmillement à la fois discret et imposant de composantes plus fines, et affichant, au premier plan d'une inconcevable perspective, une nébuleuse planétaire, NGC2438, évidente, plutôt large, et qui me révèlera, après une étude attentive impliquant filtres et concentration, une étoile centrale avec effet blink, puis des zones plus ou moins claires dessinant d'étranges structures. Bref, vous l'avez compris si vous êtes au nombre de mes lecteurs fidèles : je dessine. Et je publie aussi, ici en l'occurrence : clic.

Eh bien me voilà plutôt content de la soirée ! Je réalise que je ne ressens plus la fatigue de la semaine. La recherche passionnée du point lumineux qui a, sans regrets, laissé la place à des milliers d'autres, puis l'admiration d'une belle zone du ciel qui m'était encore inconnue, m'ont revigoré ! C'est dommage : il est temps de se coucher. S'agirait quand même de se reposer et de se soigner...

Et je vous jure que ce n'est qu'au matin que j'ai réalisé : mince, j'ai oublié de revenir sur Jupi pour le transit d'Europe !

Joli CROA et belle résilience (comme dirait Boris Cyrulnik ), qui transforme un échec initial en réussite mémorable et revigorante.

Et bravo pour les détails perçus dans 2438, jamais vu ça même avec un diamètre supérieur, tu as l'oeil!

Cordialement,

Claude

En voila un beau papier! J'ai préféré le canapé ce soir la, le ciel était couvert ici... La licorne et le berger allemand et la poupe sont des regions riches de moult friandises stellaires a déguster sans modération, et M46, celui la c'est mon amas ouvert préféré, un véritable écrin qui met en valeur ngc 2438, ton observation confirme la mienne sur la centrale de cette dernière, tu as su rendre l'ensemble de fort belle manière sur ton dessin, bravo!

Salut Vakoran

Fred, tu vas pas rester toute la soirée à chercher un p..... de pauvre point lumineux que tu ne pourras même pas détailler, et encore moins dessiner correctement ! Passe à autre chose, bon sang !

Et oui, tu n'as pas préparé ta soirée, une petite recherche pour avoir une carte aurait suffit à ton bonheur

Car sans trop m'en rendre compte, voilà que je me trouve dans une constellation que j'explore bien rarement. Et je devrais, parce que je découvre ainsi M47, lâche et aux étoiles brillantes, NGC2423, aux jolies petites composantes serrées qui le rendent esthétiquement obligeant, puis Melotte 71, pour lequel j'ai un vrai coup de cœur (eh oui, scoop : j'aime les amas aux étoiles serrées et fines), mais surtout, M46.

Oh oui tu devrais t'y plonger à fond dans la Poupe, cette constellation est une vrai pouponière d'objets, de belles étoiles multiples, des nébuleuses planétaires et pas mal d'amas ouverts, y'en a pour tous les goûts

je dessine. Et je publie aussi, ici en l'occurrence : clic.

Je vais aller voir ça sitôt que j'aurai fini de te répondre

il est temps de se coucher. S'agirait quand même de se reposer et de se soigner...

Allez hop, une bonne cuillère de miel, y'a rien de mieux pour les meaux de gorge

Salut Vakoran:) !

Tu n'es pas le seul à ne pas avoir pu trouver 2012 DA14...le ciel était couvert chez moi...et je n'avais pas préparé cette observation...

Mais tu as admiré d'autres belles cibles célestes:rolleyes:.

Pour M46, je vais le voir régulièrement, mais ce n'est que cette année que j'ai vu la NP NGC2438...!

Je te remercie pour ce Croa, et pour le partage:cool:.

A plus, et bon ciel...et bon rétablissement !

Philippe.

Bon je viens de vérifier pour la centrale de NGC2438 que j'ai également vu, hélas cette petite étoile de 12.5m n'est pas la centrale, la véritable centrale elle fait 17.5m, pas a notre portée donc, a priori! Je suis aller voir dans l'excellent splendeurs du ciel profond tome hiver pour trouver ces infos, dommage donc mais ça n’enlève absolument rien a la l’esthétique de la chose!

Salut Vakoran

Vraiment pas de chance pour DA14... et pourtant tu as bravé ton mal de gorge pour ce petit "caillou" !

Tant pis, tu t'es rattrapé sur d'autres cibles.

C'est vrai que la Poupe et la Licorne sont vraiment très riches en cibles à contempler.

Merci pour ton partage de cette soirée

J'aime bien ton CROA, tu transformes un rendez-vous manqué en aventure ! Et les autres cibles sont belles. Perso, j'ai photographié l'astéroïde mais rien tenté en visuel... Apparemment ce n'était pas évident.

Et bien ces remèdes sont une vraie réussite pour la rédaction d'un croa : excellent !

Je n'ai pas perçu tant de détails et de nuances sur NGC 2438 au 250, à revoir donc sous meilleur ciel...

Merci pour ce bon moment Vakoran,

Ln

C'est la première fois que je vais le voir, celui-là.

C'est curieux, j'ai échangé avec plusieurs astrams qui n'avaient eux aussi jamais été le voir après souvent de longues années.

Pourtant c'est un petit coin de ciel assez magique, cet amas et la petite NP incertaine qui semble flotter, devant ou derrière l'amas, le cerveau n'en sait trop rien.

L'observation ne peut le dire, il faut aller chercher l'info dans les livres

Et quand on sait que la NP est 1200 AL plus loin, d'un seul coup le cerveau la voit derrière....!!!!!!!

Beau récit, sensible et détaillé,...

Joli CROA, joli dessin. Bravo et merci.

Merci à tous d'être passés me lire !

Et oui, tu n'as pas préparé ta soirée, une petite recherche pour avoir une carte aurait suffit à ton bonheur

Le pire, c'est que ma carte était bonne ! Je lui ai juste fait une crise de confiance au moment critique... Vraiment, je pense que j'ai raté le caillou à peu de chose près !

Bon je viens de vérifier pour la centrale de NGC2438 que j'ai également vu, hélas cette petite étoile de 12.5m n'est pas la centrale, la véritable centrale elle fait 17.5m, pas a notre portée donc, a priori!

Oui, je m'en suis aperçu après coup moi aussi, il faut avouer que l'étoile qu'on voit très proche du centre fait bien illusion, on se fait avoir facilement !

Salut Vakoran, je viens de découvrir ce CROA à la lecture de ton commentaire sur le mien . Je suis donc un peu à la traine.

J'ai bien aimé ton récit et les apartés que tu y apportes. Il y a un ton décalé très plaisant.

Pour ce qui est du scénario, il y a effectivement une similitude avec ma sortie, ce même soir, avec ce rendez-vous manqué de 2002DA14.

Je file commenter ton dessin

J'ai bien aimé ton récit et les apartés que tu y apportes. Il y a un ton décalé très plaisant.

Ah, merci, j'espérais que quelqu'un mentionne ce petit ton humoristique que je me suis efforcé d'apporter !

N'hésite pas à réitérer l'effort