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Oregon 2017 - un rêve d'éclipse


serge vieillard

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Yo !

 

Assurément, la plus belle éclipse solaire que j’ai vécue*!

 

Ce fut un parfait périple de trois semaines dans le nord-ouest américain, région moins courue par les touristes que*bien d’autres. Ici, point de Grand Canyon, de Vallée de la Mort, le NY city, de LA, de grand Teton ou de Texans. Une nature intacte d’infinies forets de résineux géants d’où pointent ici et là quelques sommets prodigieux de volcans tout justes assoupis couverts de glaciers, comme le Mont Rainier, le Mont Saint Hellens et quelques autres, prétexte à de biens belles randonnées. Tel un trait d’union, l’énorme Columbia River sépare les états de Washington et de l’Oregon. Elle se jette à l’Ouest dans le grand Pacifique où batifolent troupeaux de phoques, de lions de mer et de baleines grises soufflant et roulant dans les déferlantes fraîches et limoneuses.

 

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C’est dans l’état de l’Oregon qu’avec le club, nous avons décidé d’aller observer cette éclipse du 21 aout 2017, choisissant comme point de chute la fameuse OSP, la star party de l’Oregon. Ce fut l’occasion de découvrir ce légendaire rassemblement d’amateurs d’astronomie et d’y passer quelques jours merveilleux, riche en papotages et échanges divers, dans une ambiance particulièrement bon-enfant dans un endroit quasi inhabité, une contrée de forêts et de rocailles – et l’occasion de constater qu’on n’a pas à rougir de nos rassemblements.

Si cette région ne permet que deux minutes de totalité au regard des cent soixante secondes possibles au centre des USA, elle présente des statistiques météorologiques rassurantes et l’assurance d’une certaine quiétude lors du phénomène, choix qui se confirmera pertinent par la suite.

Mais comme pour toute éclipse, il y une certaine ambiance qui inévitablement s’installe bien avant l’évènement, une fébrilité insidieuse qui ne fait que de croitre au fil des jours, un compte à rebours inexorable où les doutes s’exacerbent quant aux choix réalisés. Fera-t-il vraiment beau*? Ne sera-t-on pas submergé par la foule dont il est pronostiqué une affluence record*? Quels seront les interdits, les obligations limitatives, les impossibilités*de dernière minute ? Trouvera-t-on un endroit idoine accessible le jour J, ou J-1*? Et finalement, moi, serais-je parfaitement prêt à l’instant voulu*? Ou tout simplement, n’ai-je pas rendez-vous avec une déferlante d’émotions*?

Voilà des années que ce voyage est programmé, un an que les billets sont achetés, six mois que les réservations sont assurées, deux mois qu’inlassablement, je m’entraine encore et encore à dessiner des éclipses d’après photos dans les cent vingt secondes imparties, deux semaines que j’ai reçu une belle Swarovski achetée pour l’occasion, que le T250 est méticuleusement vérifié et apprêté pour le voyage, les filtres solaires ajustés, les crayons taillés.

Trois jours avant le phénomène, nous empruntons une petite route déserte qui descend plein sud sur Mitchel. Soudainement, on prend conscience qu’on entre dans la zone de totalité*: déjà, des véhicules investissent les espaces disponibles et des fermiers mettent à disposition leurs champs fraichement fauchés moyennant une coquette rétribution. Nous coupons la ligne de centralité là où elle offre cent vingt-six secondes d’observation. J’ai l’étrange regret de ne pas avoir envisagé de me poser là, à l’improviste sur le bord de la route comme certains le font déjà et d’attendre patiemment. Puis à quelques kilomètres de là, on vadrouille dans l’univers fantastique des Painting Hills, monts et collines veinés d’ocres jaune ou rouge, bariolés de trainées blanches, saupoudrées de vert et de noir. Assurément, le décorum est sublime et participerait à magnifier l’évènement. Beaucoup l’ont compris et l’endroit commence à se remplir de monde. Chacun prend ses dispositions pour vivre en totale autarcie trois jours durant, sous l’œil bienveillant de quelques rangers.

 

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Nous poursuivons sur une piste cinquante kilomètres plus au sud pour atteindre les lieux de la Star Party où nous prenons nos quartiers.

 

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Cependant, cet excentrement géographique ne permet qu’une minute et demie de totalité, ce qui m’est insupportable au regard du potentiel des zones traversées.

C’est ainsi que la veille au soir après un diner rapidement ingurgité, nous quittons la Star Party avec Pierre, Cyrillounet et Elyane. Nous remontons la piste vers la ligne de centralité où nous avons repéré quelques coins plaisants. Pierre ne décroche pas les yeux de son doudou, petite boite plate qui accessoirement sert de téléphone, mais qui est principalement bourrée d’applications étonnantes, dont une informant en temps réel de toutes les caractéristiques de l’éclipse en fonction de la position GPS.

La piste est étonnamment désertée et nous sommes apparemment les seuls à avoir quitté l’OSP pour un gain d’une trentaine de secondes supplémentaires. Alors que nous nous attendions à une invasion, à des accotements pris d’assaut, à une déferlante humaine qui pourtant aura bien lieu à quelques kilomètres de là, nous ne traversons que des contrées désertes. Nous sommes ici seuls au monde et nous jetons notre dévolu sur un joli flanc de colline perdu qui nous assurera cent vingt et une secondes de pur bonheur. On peut crier, beugler ou danser à poil si ça nous chante, nul ne viendra nous importuner.

 

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C’est une situation unique, incongrue, à mille lieues de ce qu’on pouvait imaginer pour un tel évènement et l’on savoure l’instant…et l’ambiance bascule dans tout autre chose. On est ici dans la nature et l’intimité, il n’y aura pas cette sorte d’hystérie collective qui inévitablement se déchaine lors de la totalité, tout sera doux, légèrement introverti, ce sera NOTRE éclipse rien que pour nous quatre, tel le meilleur cru que l’on débouche entre amis lors des plus grandes occasions. Mais pour la circonstance, ce sera quelques bonnes tournées de rhum prises sur une pierre plate quand, à l’heure du crépuscule, s’envolent les engoulevents.

La nuit devient magique et m’invite à poursuivre ce dessin à l’œil nu de la Voie Lactée sur trois cent soixante degré, commencé jadis sous le tropique du Capricorne. Je m’attaque aux zones boréales, du Cygne où la North America crâne d’une belle évidence jusqu’à Persée et son double amas.

On dort à la belle étoile, le duvet étalé à même le sol, l’œil scotché sur une voûte céleste enchanteresse qui progressivement s’embue de sommeil, envoûtement de l’instant et prémices d’un lendemain radieux que déjà l’on savoure.

Réveillé dès le lever du Soleil, tout semble m’échapper, comme si j’étais passé en mode automatique. Lever, plier duvet, monter télescope, installer poste d’observation, lunette, filtres en place, crayons, papier, gabarits, repérer trajectoire Phébus, engloutir bol céréales, honorer les dieux des offrandes matinales (opération visiblement payante par la suite). Premier contact dans cinq minutes, ça y est, on y est, tout est prêt dans les temps impartis, que la fête commence*!

Il y a comme une sourde angoisse, une tension palpable, presque une appréhension, voire un soupçon d’oppression, probablement un grand trac, mais cela est divinement bon, joyeux et excitant à la fois. Pierre égrène*: cinq…quatre…trois…deux…un…zéro…moins un…moins deux…moins trois…top, premier contact*vu ! Premier dessin, celui du Soleil tout juste touché, avec deux chapelets de belles taches et quelques facules. J’entame le second dessin illustrant les collines boisées alentours, bucolique à souhait. Puis les suivants témoignent de l’avancée de Séléné dont on perçoit nettement le relief au niveau du limbe.

 

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Et puis à cinq minutes du second contact, ayayaaa, la lumière bascule, elle devient de ce ton électrique blafard si particulier mais pourtant jamais identique. Il est ici gris, terne et pourtant doré, quoiqu’avec un rien de violet et ça ne fait que s’affirmer, un savant mélange dosé par un éclairagiste de talent. Point d’ombres volantes, juste quelques astres qui apparaissent dans cet étrange crépuscule se centrant sur le Soleil.

Je veux jouir pleinement de la totalité, fut-il au détriment de toute autre considération, avec une vision déjà préparée aux basses lumières. Pour cela, je chausse mes lunettes «*œil-de-chat*» un quart d’heure avant la conjonction. Elles sont bricolées avec des caches en forme de fente étroite ne laissant passer que le strict minimum de lumière. Je délaisse les observations directes du Soleil durant les dernières minutes. J’ôte les filtres à trente secondes de la totalité et perçois les derniers flamboiements de l’astre à travers les lentilles des oculaires que je me garde bien d’approcher.

Je me jette à la dernière fraction seconde sur la lunette pour saisir fugacement le dernier grain de Bailly, sublime*: alors qu’il étincelle, la couronne diffuse déjà ses lueurs à l’opposé, magnifié d’une superbe protubérance de ce rose fuchsia électrique merveilleux et d’un liseré irrégulier de chromosphère tel un coulis de fraise Tagada.

 

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Les curseurs du grand metteur en scène céleste installent majestueusement une totalité de folie, sublime de beauté. Je suis autant émerveillé que submergé par un caléidoscope de sensations et d’émotions violentes bien qu’agréablement savoureuses. Ça coule et ça bave, ça palpite et fourmille, ça hurle et pette les plombs, ça bonheurtitude à plein poumons, c’est plein et absolu, rien que pour nous quatre réunis ici.

Punaise qu’elle est belle, étrange et incongrue, avec sa couronne largement étendue s’étalant sur cinq diamètres solaires alors qu’une chromosphère active et radieuse pette le feu de ses tons cramoisis. Deux panaches principaux d’un côté, un de l’autre, ça dessine une pointe de flèche - ou la tête du renard du Petit Prince. Des plumets évanescents s’enchevêtrent dans cette structure velue. Les jets polaires en larges queues de paon filandreuses sont d’une complexité remarquable. Je saute de la lunette au télescope, ce dernier offrant une vision détaillée dantesque avec une texture affirmée où se dévoilent quelques coques. A mes yeux, elle surpasse les sept autres éclipses totales que j’ai pu contempler*: vaste et complexe à la fois, elle réunissait toutes les coquetteries possibles dans le plus beau des tableaux.

Mais de-diou, les secondes s’égrainent et, machinale, la main trace sur le papier des lignes tremblotantes et imprécises*: je n’y arrive pas, ça merdouillotte et ça m’échappe*! Il faut se ressaisir, évacuer un surplus de pression, respirer un grand coup, relâcher la machine, se poser, mettre un grain de raison dans cette parenthèse temporelle absolument irréelle. Ca y est, tant bien que mal le mécanisme reprend le dessus, l’esquisse prend forme et se précise au fil du temps, la vision s’affine et évolue au fur et à mesure du passage de la Lune. Il faut jongler avec la feuille, la faire pivoter selon qu’on observe à la lunette ou au télescope et parfois, je m’y perds comme en témoigne ce jet polaire affirmé, dessiné du mauvais côté. Déjà l’ombre glisse et annonce implacable la fin du grand jeu. J’ancre l’image dans ma mémoire. Cent vingt et une secondes, pas une de plus, l’espace d’un souffle, infime instant où l’on «*sent*» physiquement la ronde planétaire dans ce hasard improbable où les proportions entre les distances et les diamètres des astres concernés coïncident quasi à la perfection…

Au troisième contact, je me coupe de tout, je vidange tout et, avec frénésie, je jette sur le papier cette vision virtuelle avant qu’elle ne s’évapore et se dilue de mon esprit.

 

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C’est fini, je suis vidé mais radieux. On se congratule et s’extasie, explosent la joie et les grands rires. Déjà on se remémore l’instant, on se dit qu’on a une sacrée chance de vivre ça, et surtout de l’avoir vécu comme ça, partagé en toute intimité, avec l’étrange ressenti d’une sorte de caprice assouvi d’enfant gâté dont il n’est pas de mise d’avoir à en rougir. On se donne rendez-vous pour celle de juillet 2019 au Chili*!

 

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Epilogue

Sur le vol du retour vers la France, on contemple par le hublot miraculeusement propre la féérie d’une nuit électrique où dansent et virevoltent les aurores boréales.

  • Merci / Quelle qualité! 1
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Ooooh oui qu'elle était belle. J'avoue que je me disais en y allant "celle la je la fais avec mes yeux, comme ça ce ne sera plus à faire"... Mais non, telle la plus puissante des drogues, une fois que c'est finit on se dit qu'on doit absolument revoir ça, et donc en faire une autre... et ton récit décrit très bien pour quelle raison :).

Merci pour tout ça.

 

A+

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Sompteux!!!

 

C'est exactement tout ce qu'on a vécu : les paysages magnifiques, les endroits déserts rien que pour nous alors qu'on pensait qu'il y allait avoir foule, les doutes, les angoisses, les yeux sur l'appli magique (c'est le rôle de Rob! :D) et la tempête d'émotion au moment de la totalité, la fébrilité, la joie pure...

 

Et tes dessins magnifiques...

 

Merci Serge! :-_-:

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Superbes dessins et magnifique CROA! Bravo!!

Tu as tout dit sur cette éclipse.

La magie était présente de bout en bout sur ce voyage: Aussi bien au niveau de l'éclipse en elle-même, que la vision d'aurores boréales lors du retour en avion, sans oublier les paysages magnifiques de cette côte ouest.

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Je vois que les paysages de l'Oregon n'ont rien à envier à ceux des États proches où je me trouvais à la même période ! On ne le dit peut-être pas assez, mais quel beau pays, les USA...

 

Je n'ai pas grand-chose à ajouter concernant l'éclipse elle-même après mon commentaire laissé sur ton post de la partie "Dessins", mais j'ajoute ici qu'il est intéressant de mieux comprendre tes pérégrinations et ton ressenti à l'approche de l'événement. En te lisant, on ressent la même chose que toi, et on revit un peu ce fameux phénomène.

 

Râââh, que ce fut bon !!!

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Bon ben alors ça fait plusieurs fois que je reviens voir ces dessins depuis le début de la semaine et je ne sais toujours pas quoi dire. C'est beau, c'est rare, c'est un souvenir d'un moment qui ne se reproduira plus ou en tout cas pas tout à fait pareil pour les suivantes. Et je te souhaite d'en voir bien d'autres et de les faire partager comme tu le fais si bien

 

De mon côté c'était la première que je voyais. J'en ai profité un maximum à l'oeil nu et aux jumelles. La vision de la couronne est envoutante, mais elle disparait trop vite.

 

Eric

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Merci à tous !

 

oui, il y aurait pu y avoir du verbe cru.... Dommage, ça le méritait.

 

Ah Eric, on a bien pensé à toi à l'OSP devant ce binoscope :

 

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Superbe finition, son concepteur des plus charmant qui laisse tripoteur à notre guise.

Jolis barillets à miroirs collés :

 

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c'est vraiment bien fini, c'est très beaux. Cependant, les tiens fonctionnent infiniment mieux ! Ici, tout est bien trop souple, sous-dimensionné dans la structure montante et la partie haute. On n'a pas pu tester la nuit sur le ciel mais son papa reconnait volontiers que ça ne le fait pas bien. Mais à noter la sincérité du propos, remarquable !

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Merci à tous !

 

Ah Eric, on a bien pensé à toi à l'OSP devant ce binoscope :

 

C'est vrai que j'aurais bien été tenté de profiter de l'occasion pour aller à l'OSP mais le programe du voyage était déjà bien chargé. En tout cas si tu as l'occasion de faire un petit comte rendu sur cette star party dans la section bricoleurs avec quelques autres photos, je crois que je ne serais pas le seul à apprécier.

 

Eric

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